Avocat droit des affaires Paris
Actualité juridique 29 juillet 2021

Formalisme lié aux actes conclus par les sociétés en formation, la Cour de cassation maintient son cap.

Par Ydès

Dans une décision rendue le 10 février 2021, (19-10.006) et publiée au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient rappeler toute l’importance qu’elle attache au formalisme des actes conclus par les sociétés en formation.

Les faits sont simples :

Une société X conclut le 18 mai 2015 plusieurs contrats avec une EURL désignée comme société en cours d’immatriculation et représentée par son gérant monsieur F.  L’EURL est immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 26 juin 2015 avant d’être placée en liquidation judiciaire le 6 octobre 2015.

Estimant que monsieur F était solidairement responsable des engagements souscrits le 18 mai 2015, la société X l’assigne en paiement de diverses sommes.

On sait en effet que l’article L210-6 du Code de commerce dispose en son deuxième alinéa que « Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, [à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société] . »Une règle comparable est également énoncée à l’article 1843 du code civil.

Les débats ne semblent pas avoir tourné autour de l’existence d’un acte portant reprise des engagements souscrits postérieurement à l’immatriculation l’EURL.

Dès lors, toute l’argumentation de la société X va être de prétendre que les mentions des contrats litigieux impliquaient que l’EURL était en cours de formation et que son gérant avait agi au nom de celle-ci en signant les contrats.

Elle n’est rejointe ni par la Cour d’appel ni par la Cour de cassation qui indique dans un attendu aussi limpide que classique :

L’arrêt [de cour d’appel] retient qu’à la lecture des contrats, il apparaît que le co-contractant de la société X est la société […], en cours d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, représentée par son gérant M. F…, ce dont il déduit que ce n’est pas ce dernier qui a agi pour le compte de la société en sa qualité d’associé ou de gérant mais la société elle-même, peu important qu’il ait été indiqué que celle-ci était en cours d’immatriculation, cette précision ne modifiant en rien l’indication de la société elle-même comme partie contractante. En l’état de ces motifs, et dès lors que les contrats conclus par une société non immatriculée, donc dépourvue de personnalité juridique, sont nuls, la cour d’appel a exactement retenu, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la seconde branche, que M. F… ne pouvait être tenu des obligations résultant des contrats litigieux.

En d’autres termes :

  • Une société ne jouit de la personnalité morale qu’à compter de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, selon l’article L210-6 alinéa 1 du Code de commerce.
  • En stipulant qu’un contrat est conclu par une société en cours d’immatriculation représentée par un contrat on conclut un contrat avec une société dépourvue de la personnalité juridique et insusceptible d’être représentée. Ce contrat est donc nul et la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que cette nullité était une nullité absolue insusceptible de régularisation.
  • Afin de conclure un acte qui soit valable il faut scrupuleusement s’en tenir à la lettre de l’article L210-6 alinéa 2 tel que repris ci-dessus à savoir : monsieur ou madame A agissant au nom de la société B en formation.

Quelques remarques pratiques en conclusion :

  • La mention retoquée par la Cour de cassation « la société X en cours d’immatriculation représentée par » se retrouve fréquemment dans des modèles d’actes en particulier dans les baux commerciaux puisque l’on sait qu’une société peut avoir besoin d’un bail pour se faire immatriculer.
  • De manière accessoire, cette décision est un bon rappel également de la nécessité de procéder à la reprise des actes conclus au nom de la société en formation. Un arrêt un peu ancien de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 20 janvier 1987 (85-15.568) vient nous en rappeler les modalités : Mais attendu que la reprise, prévue à l’article 1843 du Code civil, par une société des engagements souscrits par les personnes qui ont agi au nom de cette société lorsqu’elle était en formation, résulte, en application de l’article 6 du décret du 3 juillet 1978 et quel que soit le nombre de ces personnes, soit de la signature des statuts lorsque l’état prévu au même article aura été préalablement annexé à ces statuts, soit d’un mandat donné avant l’immatriculation de la société et déterminant dans leur nature ainsi que dans leurs modalités les engagements à prendre, soit enfin, après l’immatriculation, d’une décision prise à la majorité des associés.

 

Raphaël Oualid – Associé – Corporate – Fusions & Acquisitions