Avocats droit des affaires
Actualité juridique 20 février 2024

Actualité juridique : Actes passés par une société en formation, un revirement bienvenu.

Par Ydès

Actes passés par une société en formation, un revirement bienvenu.

(Cour de Cassation Chambre Commerciale 29 novembre 2023 22-12.865).

 

Il est assez fréquent qu’une société ait à conclure des actes préalablement à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés et donc préalablement à ce qu’elle jouisse de la personnalité morale.

Le cas du bail – commercial ou non – se présente assez régulièrement d’autant qu’il fait partie des pièces justificatives qu’une société peut être amenée à devoir fournir dans le cadre de sa demande d’immatriculation.

En d’autres termes le droit a à envisager la validité d’un acte conclu par une personne qui juridiquement n’existe pas encore.

Cette problématique est traitée notamment par l’article L210-6 du Code du commerce qui prévoit que :

Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d’une société n’entraîne pas la création d’une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation.

Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société.

Une jurisprudence constante de la Cour de cassation avait une vision très exigeante quant au formalisme à suivre pour que cette reprise soit possible. En particulier elle exigeait que l’acte en question indique bien que les personnes agissent au nom et pour le compte de la société en formation. Les actes stipulant que l’acte était passé par la société en formation étaient eux frappés d’une nullité absolue, insusceptible de régularisation.

L’arrêt du 29 novembre 2023 vient apporter un très net revirement de jurisprudence. Il est à noter que la Cour de cassation fait preuve pour l’occasion d’une très grande pédagogie et d’une parfaite clarté si bien que la décision peut être reprise sans ajout ni commentaire :

[…]

  1. La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d’être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » (Com., 22 mai 2001, pourvoi n° 98-19.742 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 10-27.630, Bull. 2012, IV, n° 49 ; Com., 13 novembre 2013, pourvoi n° 12-26.158) ou « pour le compte » (Com., 11 juin 2013, pourvoi n° 11-27.356 ; Com., 10 mars 2021, pourvoi n° 19-15.618) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s’il ressort des mentions de l’acte ou des circonstances que l’intention des parties était que l’acte soit accompli en son nom ou pour son compte (3e Civ., 5 octobre 2011, pourvoi n° 09-72.855 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 10-27.630, Bull. 2012, IV, n° 49 ; Com., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-13.719).7. Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d’une mention expresse selon laquelle l’acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d’une société en formation protège, d’un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l’avenir, d’une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l’autre, la personne qui accomplit l’acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu’elle s’engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.

    8. Cette solution a pour conséquence que l’acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d’une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n’auront à répondre de son exécution, à la différence d’un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi « au nom » ou « pour son compte ». Elle s’avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d’annulation de l’acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.

    9. L’exigence selon laquelle l’acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu’il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.

[…]

Cette évolution jurisprudentielle est bienvenue, tant en pratique les rédactions contraires à l’ancienne jurisprudence étaient légion.

 

Nous restons à votre entière disposition en cas de questions.

 

Raphaël Oualid – avocat associé Corporate – Fusions & Acquisitions