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Actualité juridique 23 mars 2021

La soumission volontaire au statut des baux commerciaux, une bonne ou une mauvaise idée ?

Par Ydès

Le statut des baux commerciaux correspond à un régime juridique spécifique, accordant de nombreux droits au preneur à bail (le locataire).

Ce statut s’applique d’office lorsque les conditions sont remplies et comporte de nombreuses règles d’ordre public.

 

  • Le statut des baux commerciaux s’applique d’office dans certains cas précisés par la loi

L’article L145-1[1] du Code de commerce définit le champ d’application du statut des baux commerciaux.

Ainsi, le statut est applicable de droit si les conditions suivantes sont réunies :

  • Un contrat de bail,
  • Portant sur un immeuble, que ce soit les locaux principaux ou accessoires de l’activité si la privation de ces locaux est de nature à compromettre l’exploitation du fonds,
  • Dans lequel est exploité un fonds de commerce, industriel ou artisanal,
  • Par un preneur immatriculé au Registre du commerce et des sociétés ou au Répertoire des métiers.

Si ces conditions sont réunies, un bail commercial doit alors nécessairement être conclu.

L’article L145-2 [2] du Code de commerce prévoit ensuite que d’autres contrats de bail bénéficient de droit du statut protecteur des baux commerciaux, sous réserve que certaines conditions soient remplies.

Il s’agit des baux conclus par des preneurs ou pour des activités, justifiant une particulière stabilité :

  • Les établissements d’enseignement ;
  • Les régies communales, si le bailleur a donné son accord sur la destination des lieux ;
  • Les entreprises publiques et établissements publics à caractère industriel et commercial lorsqu’il s’agit des baux nécessaires à leur activité ;
  • Les collectivités publiques si elles satisfont à l’article L 145-1 du code de commerce ou si elles peuvent être considérées comme établissement d’enseignement ou régie communale ;
  • Les sociétés coopératives et les caisses d’épargne et de prévoyance si elles ont une forme ou un objet commercial ou un objet financier ;
  • Les artistes professionnels produisant des œuvres d’art ;
  • Les groupements d’intérêt économique (GIE) si leurs activités sont commerciales.

 

  • Mais il est également possible de s’y soumettre volontairement…

Le 7° de l’article L145-2 précité prévoit la possibilité de se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux, si le preneur ne remplit pas les conditions ci-dessus énoncées, et s’il n’est pas soumis à un autre régime d’ordre public (bail d’habitation relevant de la loi de 89 par exemple).

« 7° Par dérogation à l’article 57 A de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière, aux baux d’un local affecté à un usage exclusivement professionnel si les parties ont conventionnellement adopté ce régime.« 

Ce peut être le cas pour les professions libérales, par exemple, ou lorsque le commerçant n’est pas encore immatriculé au Registre du Commerce et des Sociétés.

Cette soumission volontaire au statut doit être expresse et non équivoque.

 

  • Dans ce cas de soumission volontaire tant les dispositions d’ordre public que les stipulations issues de la volonté des parties s’appliquent 

Il peut sembler opportun, lorsque le preneur ne remplit pas les conditions, de conclure un bail commercial.

Cela permet de s’assurer d’avoir un bail complet, dont les clauses couvrent l’ensemble des problématiques pouvant se rencontrer dans le cadre de rapports locatifs.

Les parties s’assurent ainsi d’une sécurité juridique non négligeable.

En outre, le preneur dispose d’un bail de longue durée, lui permettant une pérennité de ses conditions d’exercice, dans un même lieu.

Le bailleur quant à lui, a, si tout se passe bien, la garantie de l’encaissement d’un loyer régulier sur une longue durée, et s’assure d’une stabilité locative.

Pour autant, il convient d’être vigilant, car se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux peut avoir des conséquences particulièrement lourdes pour le bailleur.

En premier lieu, la Cour de cassation a jugé qu’il est impossible de déroger aux règles d’ordre public du statut, lorsque l’on se soumet volontairement au statut.

Ces règles sont, conformément aux articles L 145-15 et -16 du Code de commerce, le droit au renouvellement ou à l’indemnité d’éviction.

Ass. Plén. 17 mai 2002, N° de pourvoi : 00-11664

Ainsi, à l’issue de la durée de son bail, le preneur non commerçant a la garantie, dans un premier temps, d’une prolongation tacite de ce bail ou, dans un second temps, d’un renouvellement de celui-ci ou du paiement d’une indemnité d’éviction.

Ce faisant, la Cour a imposé aux parties qui souhaitent se soumettre volontairement au statut, l’application totale de celui-ci ce qui sera favorable au preneur .

La Cour est même allée plus loin, dans un arrêt du 28 mai 2020 (CCas, 3ème Civ. 28/05/2020, n° : 19-15001)[3] :

En effet, la Haute juridiction a estimé que lorsque la soumission volontaire des parties résulte notamment du fait que le preneur ne remplit pas les conditions pour être soumis de droit au statut des baux commerciaux, le bailleur renonce de facto à se prévaloir de ce défaut pour justifier un refus de renouvellement du bail sans versement d’une indemnité d’éviction.

En l’espèce, il s’agissait du défaut d’immatriculation du preneur, une société commerciale, qui avait pris en location des locaux destinés à l’exploitation d’une activité hôtelière et/ou para-hôtelière consistant en la sous-location meublée de locaux situés dans le même ensemble immobilier avec mise à disposition de services ou prestations para-hôtelière à la clientèle.

En vertu du bail, les parties étaient convenues expressément de « soumettre la présente convention au statut des baux commerciaux ».

Le bail arrivant à son terme, le bailleur avait délivré au preneur un congé avec refus de renouvellement et sans versement d’une indemnité d’éviction, au motif que la société preneuse n’était pas régulièrement immatriculée au RCS.

Le preneur a alors engagé une procédure en paiement de son indemnité d’éviction.

La Cour d’appel a rejeté sa demande en estimant qu’il n’était pas stipulé au contrat de bail « que le bailleur accepte de façon non équivoque de dispenser le preneur « du défaut d’immatriculation ».

La Cour de cassation a cassé cet arrêt, considérant que « le bail stipulait que les parties déclaraient « leur intention expresse de soumettre la présente convention au statut des baux commerciaux, tel qu’il résulte des articles L. 145-1 du code de commerce et des textes subséquents, et ce même si toutes les conditions d’application de ce statut ne sont pas remplies ou ne le sont que pour partie, en sorte qu’il y aura éventuellement extension conventionnelle du champ d’application de ce statut » ».

Ainsi, dès lors que les parties se soumettent de manière claire et non équivoque au statut des baux commerciaux, le juge, qui a l’obligation de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis, n’a pas à vérifier que les conditions d’application du statut sont réunies et doit se contenter d’appliquer le bail et les dispositions d’ordre public.

Par conséquent, la soumission volontaire au statut des baux commerciaux vaut pour la durée du bail initial et ses renouvellements.

Ce faisant, l’extension conventionnelle peut s’avérer beaucoup plus contraignante et rigide que la simple application du statut.

Le bailleur doit, en effet, se soumettre à la convention et aux règles d’ordre public, sans possibilité d’y déroger ou de se désengager, et peut ainsi, contrairement au principe applicable en la matière, renoncer valablement à un droit qu’il n’a pas encore acquis.

Conclusion

Avant de soumettre une relation contractuelle au statut des baux commerciaux, il est nécessaire de déterminer l’objectif recherchée pour bien déterminer les avantages et inconvénients d’une telle soumission puisque les implications juridiques et financières peuvent se révéler très lourdes.

 

Cindy Richard – avocat – Immobilier, Construction & Baux

 

 

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000019289948&cidTexte=LEGITEXT000005634379&dateTexte=20200911&oldAction=rechCodeArticle&fastReqId=2133348447&nbResultRech=1

 

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000029108683&cidTexte=LEGITEXT000005634379&dateTexte=20200806

 

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000041975710?tab_selection=all&searchField=ALL&query=19-15001&page=1&init=true